dimanche 7 avril 2013

Une alternative au processus budgétaire, le BBRT

En septembre 2012, dans CFO Magazine, Russ Banham a publié un article décapant intitulé 'Freed from the budget' qui pourrait se traduire en français par 'Libéré du budget'.

Il s'appuie sur un groupe de travail, un réseau appelé Beyond Budgeting Round Table (http://www.bbrt.org/) dirigé par un leader charismatique, Steve Player, qui a l'oreille de grands groupes internationaux. Ce groupe de travail, appelons le BBRT, s'attaque, entre autres, au processus budgétaire et en propose une alternative.

Mais que reproche le BBRT à ce processus budgétaire ? Avant tout c'est un processus fait pour que l'executif commande et contrôle l'organisation à partir du central. Et le BBRT énonce 10 raisons de se débarrasser de ce processus budgétaire.

  1. Le processus budgétaire empêche la réactivité; il est conçu (souvent sur une base annuelle même s'il existe des sous processus de révision trimestrielle par exemple) dans un autre objectif que celui de répondre rapidement à des évènements inattendus, base même du pilotage effectif de l'entreprise.
  2. Le processus budgétaire est trop détaillé et coûte trop cher; très administré, bureaucratique, il prend en moyenne 20% du temps du management.
  3. Le processus budgétaire produit une projection économique qui est dépassée peu de mois après sa finalisation; les hypothèses de travail utilisées pour construire le budget changent constamment (le monde économique n'est pas figé) et cela amène confusion et itérations multiples lors de cette construction.
  4. Le processus budgétaire est déphasé du monde réel de l'environnement concurrentiel; de nos jours il est plus question d'innovation et de réactivité que de budgets et de nombres de collaborateurs à gérer.
  5. Le processus budgétaire est décalé de la stratégie d'entreprise; les budgets sont le plus souvent construits sur la base d'un découpage de l'organisation (fonctions, départements) plutôt que sur des thèmes stratégiques pour l'entreprise et réconcilier les deux est quasiment impossible.
  6. Le processus budgétaire bride l'initiative et l'innovation; c'est l'argument selon lequel le management général utilise le budget comme un instrument central de commande et de contrôle de l'organisation.
  7. Le processus budgétaire apporte peu de valeur ajoutée dans le traitement des dépenses; les bugets se basent souvent sur la compilation des données de coûts antérieures et consacrent peu de temps à analyser pourquoi on en est arrivé là et comment dépasser ce constat.
  8. Le processus budgétaire renforce le controle par le management central; les budgets sont conçus pour le central et relègue les décisions locales au respect du seul cadre budgétaire.
  9. Le processus budgétaire démotive les managers; le budget aligne les comportements des managers qui au lieu de se dépasser se préoccupent plus de rester dans la lignée budgétaire sauf s'il existe une forme d'incitation à faire mieux.
  10. Le processus budgétaire encourage des comportements déviants et augmente le risque de dégrader l'image de l'entreprise; des budgets avec des objectifs agressifs et les incitations (les primes par exemple) associées conduisent nombre de managers à atteindre leurs chiffres à n'importe quel prix.
La situation que décrit le BBRT ne vous rappelle rien ? On dirait une forme de planification soviétique, à l'instar du Gosplan, du moins dans son mode de fonctionnement centralisé et sa distance au monde réel.
Ce qui étonne dans la critique du BBRT, c'est qu'elle vienne des Etats Unis, le pays dont l'économie est basée sur des principes de flexibilité, de réactivité et d'innovation. On est pourtant loin de la conquête de l'Ouest dans ce constat inflexible. Et ce ne sont pas des doux rêveurs qui composent le BBRT. Ce groupe de travail est de plus en plus écouté et certaines de ses préconisations sont prises en compte et mises en oeuvre par des dirigeants de très grandes entreprises multinationales, au delà même des frontières américaines.

Que propose le BBRT ? Une nouvelle approche qui sort du cadre rigide du processus budgétaire et permet de piloter réellement la performance de l'entreprise, vers l'avant; elle est synthétisé dans 12 principes autour des 4 thèmes suivants:

  • Gouvernance: de la transparence, pas de centralisation
  • Reconnaissance: confiance dans le management à tous les niveaux.
  • Objectifs: avec les incitations associées, des objectifs ambitieux, à moyen terme.
  • Planification: au lieu de revues annuelles et révisées par trimestre, c'est un processus continu et coordonné, avec les ressources gérées en juste à temps et des contrôles fréquents sur la base de retours.
C'est donc une approche basée sur l'amélioration continue. L'entreprise est vue comme une organisation adaptive et non une machine à enrichir les actionnaires. La création de valeur est jugée sur le moyen terme.

Quels avantages selon le BBRT ? Tout simplement une réponse plus rapide aux fluctuations du marché, la possibilité de stratégies innovantes, moins de coûts à faible valeur ajoutée, des clients plus satisfaits puisque cette approche est centrée sur le client.

Est ce une révolution ? C'est un changement fort du modèle managérial. Des entreprises renommées sont citées en référence par le BBRT: Google aux Etats Unis, Statoil (pétrole) en Norvège, John Lewis (distribution) en Grande Bretagne ou Coloplast (produits médicaux) au Danemark. D'ailleurs dans l'article de CFO Magazine un VP de Statoil témoigne en ce sens.

Pour aller plus loin dans cette réflexion, je vous conseille le site de BBRT. Il est très facile à parcourir, explique bien le comment, le pourquoi et les étapes à suivre pour changer de modèle et passer à une organisation adaptative.

Vers une nouvelle vision du management, un leadership plus déconcentré ?
Peut être. A vous de vous faire une idée sur cette théorie alternative qui peut sembler radicale mais pose de bonnes questions. Elle a au minimum ce mérite.


Thierry Biyoghé